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2.2 QUESTIONS D’ÂGE & MILIEU SOCIO-ÉCONOMIQUE

Emmanuelle

Mar 15, 2025

Ayant eu la chance personnelle de commencer à donner des cours dès l’âge de 14 ans, j’ai pû comprendre et découvrir rapidement ce que l’âge pouvait amener du point de vue de l’apprenant·e et du formateur·trice en parallèle. En formateur, il arrive que votre autorité soit remise en cause, mais lorsque vous êtes vu comme un enfant et l’apprenant est un adulte, l’établissement de votre autorité est non seulement un challenge pour vous, mais peut aussi être un élément essentiel pour l’apprenant·e qui peut rejeter le savoir simplement parce qu’il provient d’un personne jugée non-qualifiée. Ensuite, en tant que format·eur·rice dans le domaine du numérique, la différence d’âge est un défi à chaque leçon, en particulier lorsque cette différence due à l’âge est aussi réelle que totalement différente de ce qui est relaté dans les médias, je le vis à chaque fois depuis plus de 20 ans. Lorsque l’on parle de formation, on parle de capacité cognitive et de limite psychologique. On parle moins des conséquences que l’âge et/ou la situation économique ont comme effets sur notre capacité d’apprentissage. Mais surtout à quel point notre rapport à la société en général peut changer à cause de ces différences.

En ce qui concerne l’âge, il y a un phénomène en particulier que j’ai pu constater : le rapport d’autorité. En fonction de son âge, un apprenant se sentira supérieur ou, au contraire inférieur face à la connaissance mais aussi face aux autres dans son groupe comme face au formateur. Cette différence peut en même temps, rendre le cours intenable pour les participants autant que pour la personne concernée. Mais, abor- dée avec ouverture et respect, elle est aussi une richesse de point de vue et permet, en lieu et place de problèmes, de diminuer les préjugés sur les autres, mais aussi les limites psychologique issues de nos constructions sociales.

Dans les formations liées au numérique la différence d’âge est facilement identifiable : que ce soient des remarques face au savoir : « C’est facile pour vous, vous êtes jeunes », « Nous on est pas né avec tout ça. », ou encore des commentaires face aux autres (apprenants ou même formateur) : « Oui, mais à votre âge, on ne se rend pas compte de ce que c’est. », « Quand j’étais jeune, on aurait jamais… ». Dans mes cours, privés ou collectifs, ces remarques ont généralement quatre motivations :

  • Ne pas vouloir les entendre de la bouche de quelqu’un d’autre
  • Établir son autorité, pour éviter de suivre les instructions
  • Se préparer à l’échec
  • Se séparer/distinguer des autres

Il est facile de constater que, dans tout les cas, il s’agit de stratégies d’évitement, mais aussi de constructions sociales fortes et de préjugés extrêmement bien implémentés dans l’imaginaire collectif. On se rend rapidement compte que cette stratégie ne peut favoriser la dynamique d’apprentissage.

La situation socio-économique, peut être plus difficile à cerner ou à comprendre : elle a un impact dé- montré6 sur notre capacité cognitive et sur notre vision du monde et des autres, qui a longtemps été sous-estimée. Comment arriver sereinement en cours si on ne sait pas comment on va payer le billet de bus ou de train pour y aller, quelle est notre capacité de concentration si on a un enfant malade à la maison. Comment comprendre qu’un tel soit toujours en retard pour ses travaux écrits parce qu’il a un travail physiquement épuisant qui le fatigue trop pour finir une heure de travail, alors que tel autre, diplômé en littérature, ne prend que 5 minutes le soir pour l’écrire, à la fin de sa journée de bureau ?

Je me souviens d’un cours où beaucoup se moquaient d’un apprenant, que j’appellerais Robert, qui s’endormait presque toujours à la fin du cours et avait beaucoup de peine à rendre les travaux qu’il devait faire en dehors du cours. Pourtant son travail « en classe » était excellent. Il a fallu bien des cafés partagés et une intervention du formateur pour que les apprenant·es comprennent que Robert avait un travail qui l’exposait à des produits chimiques qui affectait sa vue et lui rendait les exercices en dehors du cours difficiles, mais qu’en plus il avait un bébé à la maison, d’où sa fatigue. À ce moment-là, la dynamique de groupe à changé du tout au tout : Robert a eu des interactions positives avec les autres, ce qui n’était pas le cas avant. Et les autres ont par leurs expériences personnelles soit pu comprendre la situation de Robert et soit chercher à l’aider, d’autres encore se sont rapprochés de lui.

Ces anecdotes permettent de constater les effets positifs sur l’attitude de l’apprenant lorsque l’on lève ses barrières psychologiques et ses effets sur l’apprentissage. Maintenant de l’anecdote, il est temps de passer à la démonstration, car une fois mises en avant, ces différences peuvent être source d’une incroyable richesse. Elles permettent d’appréhender le savoir plus ouvertement, de mieux comprendre les expériences de chacun·e et d’enrichir notre propre expérience. Cette diversité permet aussi de diminuer les limites et les biais cognitifs créant ainsi une nouvelle expérience de vie. Ces nouvelles expériences permettent de lever des préjugés, de modifier les normes du groupe et facilitent logiquement l’apprentissage : car en assimilant concrètement ces nouvelles expériences, en intégrant de nouvelles normes, on peut dépasser ses propres limites et il devient alors plus simple d’intégrer un nouveau savoir.

[6]  Anandi Mani, Sendhil Mullainathan, Eldar Shafir and Jiaying Zhao 2013